Aristote au Mont Saint Michel de Sylvain Gougenheim

Victor a écrit:

Le fil qui relie Platon à l'Islam ne concerne pas directement l'expansion de l'Islam, il concerne l'Islam lui-même. Mais comme l'Islam se manifeste aujourd'hui à nous par son expansion, nous sommes pratiquement forcé de le voir sous cet angle.

Nous pourrions avoir le même raisonnement avec le Cristianisme, qui se manifeste aujourd'hui aux États-Unis sous la forme d'une progression fulgurante au sein des multiples formes de pouvoir mises en oeuvre dans ce pays.

L'expansion et la progression du Chistianisme et de l'Islam à toutes les époques et partout dans le monde est une conséquence de la réussite des idées de Platon dans les esprits des prosélytes particulièrement efficaces de ces deux religions.

J'ai prélevé cet extrait dans le sujet sur Platon.

Voilà qui se trouve fort à propos
Çelà vous plairait-il d’ajouter un peu à la polémique qui tourne aujourd’hui autour d’un livre , celui de Sylvain Gougenheim : Aristote au Mont Saint Michel , dont voici la quatrième de couverture :

"Battant en brèche l'idée reçue selon laquelle l'Occident n'aurait découvert le savoir grec au Moyen
Âge qu'au travers des traductions arabes, ce livre montre que l'Europe a toujours maintenu ses
contacts avec le monde grec. C'est que le Mont-Saint-Michel constitue le centre d'un actif travail de
traduction, notamment des textes d'Aristote, dès le XIIe siècle.
Par ailleurs, l'hellénisation du monde islamique est plus limitée et partielle que ce que l'on raconte
généralement, et elle fut surtout le fait des Arabes chrétiens. Même le domaine de la philosophie
islamique (Avicenne, Averroès) resta largement étranger à l'esprit grec.
L'hellénisation de l'Europe chrétienne fut avant tout le fruit de la volonté des Européens. Si le
terme de racines a un sens pour les civilisations, les racines du monde européen sont grecques,
celles du monde islamique ne le sont pas. "

Je ne l’ai pas lu et je ne voudrais pas lui faire de procès d’intention

Mais on ne peut pas tout lire . par contre j’ai suivi pas mal d’articles autour .

Deux points essentiels ont animé la controvese :

- contrairement aux idées reçues l’influence grecque de la culture europeenne ne nous a pas été transmise par le moyen age arabe .
Pour ma part je ne l'ai jamais cru et je pense que la "traçabilité" de l’influence hellenistique est facile .

- La culture islamiste par contre ne porte pas l’empreinte grecque

La j’avoue qu’il m’est très difficile d’avancer une opinion tant mes considérations sont contradictoires !

Ceci dit je trouve absurde de renvoyer dos à dos deux cultures sous ce pretexte, l’évocation de racines ayant pour moi des échos parfaitement négatifs . Mais c’est un autre aspect de la question .

J’ai feuilleté ce livre à Virgin cet après-midi, il y’avait aussi son autre livre sur les chevaliers Teutoniques.

Je pense que l’héritage hellénistique est venu à la Renaissance occidentale par une multitude de facteurs. Il y’a bien sûr, comme à Saint-Michel et dans tant d’autres abbayes une conservation du savoir antique. L’Andalousie musulmane a aussi été un de ces facteurs. Et n’oublions pas la chute de Constantinople qui donna une migration des savants byzantins.

J’ai remarqué que la première partie de son livre est surtout centrée sur le « Dark Ages », l’image du Moyen-Âge sombre, période de transition. C’est une vision qui bien sûr hérisse le poil à un médiéviste. On va donc dire que ce livre est surtout là pour défendre une vision de la période médiévale comme un âge de développement et non de recul.

Sa vision s’oppose assez sur les historiens de l’autre coté, ceux du monde musulman.
Par exemple le livre des Croisades vues par les arabes d’Amin Maalouf, montrant les croisées comme des hordes barbares venant massacrer les orientaux raffinés et policés.
Bon, c’est aussi un livre que je n’aie pas lu, mais bon.

Par contre, dire que la culture islamique (et non pas islamiste chère Tanit ^^), c’est vraiment une affirmation assez fausse.
Il y’a cet excellent livre de Youssef Seddik, Nous n’avons jamais lu le Coran, qui montre les traces de l’hellénisme dans le Coran. Les palais omeyyades (première dynastie califale du monde musulman) fait ressortir clairement un héritage hellénistique qui s’ensuivra jusqu’au morcellement du monde musulman.

Une chose à noter aussi, c’est que dans le Dar al-Islam (maison/terre d’Islam) dont parle Sylvain Gougenheim (je l’ai feuilleté assez longtemps son bouquin), c’est qu’il tente d’inverser le rapport avec la chrétienté. Il a parlé de nuancer les choses, mais on dirait qu’il défend drôlement sa paroisse. Car ce qui est paradoxale, c’est qu’en chrétienté, le savoir est aux mains de quelques clercs enfermés entre les quatre murs de leur monastère retirés (Saint-Michel, au XIe, y’avaient pas d’autoroute directe).

Les failusufs de l’Islam (qui n’étaient pas certes tous arabes, ni même tous musulmans) au moins n’étaient pas enfermés de même que le savoir. Certes le peuple n’en profitait pas plus, mais les élites oui.

Je pense surtout que Gougenheim prêche pour sa paroisse.

Prenons par exemple ce qu’écrivait l’historienne Luce Pietri en 1971 (Le monde et son Histoire, édition de 1992, édition Bouquins), c’est édifiant :

Citation :

« Au début du VIIIe siècle, au moment où le pouvoir des califes s’étend des rives du Tage à celle de l’Indus, au moment où les négociants musulmans vont chercher jusqu’en Extrême-Orient les riches cargaisons qu’ils revendent dans tout les Méditerranée, au moment où une civilisation arabe, un art islamique commencent à s’affirmer, l’Occident chrétien offre l’image de la désolation et de la barbarie. La vie économique, peu à peu détériorée, s’est repliée à l’intérieur des domaines ruraux, où des techniques archaïques assurent à grand-peine la survie d’une population peu nombreuse. Dans ce monde, mené par la misère et la famine, la violence l’emporte sur les valeurs de la civilisation : l’Eglise refuge aux âges précédents de la culture et de l’art, est corrompue par le siècle ; la religion est déformée par les superstitions ; en Angleterre, quelques monastères bénédictins demeurent grâce à leur riche bibliothèque, des foyers isolés de la vie intellectuelle. »

Le langage est tout de même très fort pour une mise en bouche (c’est l’introduction à l’Occident chrétien, heureusement, c’est plus nuancé par la suite). A un orient musulman (et byzantin, ne l’oublions pas) très riche, un occident catholique complètement vérolé ; il y’a tout pour un bon film d’horreur sur la pécaille : des paysans grossiers, incultes, qui crèvent la dalle à cause de leur idiotie. Heureuse précision de savoir qu’au moins ils ne sont pas nombreux.

Grosso modo, c’est la vision classique du Moyen-Âge de la renaissance aux années 90 : des pécors arriérés.
Les médiévistes ont réussi à faire redorer le blason du Moyen-Âge ces dernières années (ça et tout les spécialistes des dark ages, toute période confondue, même le Dark Age du monde grec n’en est plus un malgré la disparition pure et simple de l’écriture !).
C’est ce qu’on appelle un retour de manivelle : parce qu’une période a longtemps été trop critiqué qu’elle est remise au goût du jour.
Le problème, c’est qu’on a un autre retour de manivelle qui entre en concurrence : le monde musulman. Le problème, c’est que le monde musulman est plus à la mode que le monde médiéval (surtout à cause de l’actualité).
On assiste donc à une dualité entre les spécialistes du monde musulman qui pour magnifier leur période ont besoin de taper un peu sur l’occident chrétien mais barbares. Et les médiévistes qui commençaient à sortir la tête de l’eau doivent faire pareil.


Sinon, pour trancher lequel est le plus dans l’esprit grec (quoique là, il faudra s’entendre de ce que l’on dit sur esprit grec, on devrait parler plutôt de romanité), la palme ne reviendrait ni aux empires d’occident, ni au califat musulman, mais bel et bien à l’empire Byzantin.
Ses commerces avec les deux autres tenants, et plus que ça, les liens matrimoniaux qui unissent encore plus fortement Byzance avec Baghdad et Aix-la-Chapelle.
Yazid II, calife Omeyyade, était fier d’être le petit-fils du César de Byzance, et la dynastie Ottonienne, digne descendante de la dynastie carolingienne de laquelle elle succède, ne compte plus les princesses en provenance de Constantinople qui influence la cour avec des goûts tout byzantins.

Les musulmans avant certes une plus grande facilité dans le savoir (les fonds de la Bibliothèque d’Alexandrie, les savants, les cours brillantes et tout l’accès à la Syrie-Palestine-Egypte). Mais cela a fini par se dégrader avec la fragmentation du monde musulman, la montée du fondamentalisme auxquels elle s’opposait dans d’interminables querelles entre religions et schismes.
L’Europe avait bien moins de fond du cause des invasions barbares et de la chape de plomb que constitue la religion (Grégoire le Grand qui pour fêter son pontificat décide d’un autodafé de la littérature profane). Elle réussit néanmoins à récupérer ce fond au dépend du monde musulman et byzantin.

En grande partie d'accord avec toi , et la part pas d'accord dûe sans doute à l'ignorance .
Bon je crois que Jacques Le Goff a précedé Gougenheim dans la réhabilitation du Moyen Age Occidental . Il faudrait que je me replonge dedans mais je n'ai pas mémoire qu'il l'ait fait en dénigrant d'autres cultures. Il a su redonner beaucoup d'humanisme à une période sombre je pense mais pas totalement obscure .Ce qui me plait le plus dans ton commentaire , c'est la place que tu accordes à l'empire Bysantin . D'une part on a un peu tendance à l'oublier et sans trop oser le dire parce que c'est une période que je ne connais pas assez j'ai eu envie d'évoquer ce glissement culturel hellenistique vers l'orient chrétien orthodoxe .
Je ne m'avance pas plus ,je marche avec prudence , mais je m'interesse en ce moment à Venise longtemps sous la coupe de Byzance à qui revint je crois, le role d'assurer la charnière avec Aix la Chapelle comme tu cites et tout ceci me semblerait assez séduisant mais Dieu que je connais mal la gréce byzantine !!!
Enfin , tu dis que le monde musulman est à la mode , je dirais que c'est une mode qui manque un peu de serenité et la partialité (de tous les bords) nuit à l'exactitude.^^

Oui, l’empire Byzantin, comme l’émirat de Cordoue furent des traits d’unions entre orient et occident.
ll n’y a qu’à penser par exemple à la Souda, qui est l’encyclopédie des auteurs et des œuvres grecs classiques. Bien souvent, on ne connaît des détails de la vie de poètes hellénistiques ou de dramaturges de l’époque de Périclès que grâce à la Souda : c’est une œuvre de compilation de l’ère Byzantine.
Les byzantins avaient réellement conscience de leur héritage antique et ont compilés nombres d’œuvres antérieures.

Pour les liens entre Venise et Byzance, pour ce que j’en sais, c’est surtout une histoire de rivalité économique. Venise a toujours lorgné sur la côte dalmatienne et de nombreuses îles grecques qui lui permettrait d’accroître sa puissance maritime jusqu’à la quatrième croisade où ils incitèrent les croisés de faire du butin à Constantinople plutôt qu’à libérer la terre sainte.
Par contre, je n’en sais pas davantage sur le temps où Venise était sous le contrôle de Byzance à sa fondation.

Pour le moment j'en suis à une soumission complaisante de Venise à la puissance Byzantine. Il me semble que les vénitiens s'accommodaient assez bien de cette puissance lointaine qui leur procurait une quasi autonomie interne et une securité sur mer . ils semblaient d'adroits diplomates !!!