Maintenant que je suis bien avancé dans la reconstruction du forum et que j’ai un peu lu ma nouvelle acquisition, le premier tome du manuel d’archéologie punique de Pierre Cintas (qui est mort avant d’avoir pu finir le deuxième… sur quatre, c’est surtout 24€ de dépensé pour des informations qui date de 40 ans en arrière), je vais pouvoir répondre sur le tophet.
La première chose à savoir sur un tophet, c’est qu’on en trouve uniquement dans l’occident phénicien ; sur la cote du Levant et à Chypre, on n’a pour l’instant trouvé aucun tophet. On pense en avoir trouvé un à Tyr, mais les fouilles ne révèlent pour l’instant rien de convainquant, le pseudo-tophet de Tyr étant même une supercherie qui coûta cher à l’Institut Américain de Beyrouth (en même temps, la plupart des sites de la cote phénicienne sont en assez mauvais état à cause de l’urbanisation, et à Chypre, c’est toujours la guerre).
Le tophet pourtant, s’il n’apparaît que dans l’occident phénicien, tire son origine de l’orient. Tophet est en effet le nom d’un lieu ; dans la vallée de Hinnom (ce qui donne en français, la Géhenne) ; les phéniciens et les puniques ne disaient donc certainement « tophet » pour ces lieux que l’on nomme ainsi.
C’est dit dans la Bible, relayé ensuite dans les textes grecs et romains qui détaillent les sacrifices d’enfants.
Ce sont les sources justement qui posent problème ; même si avec Flaubert et son roman qui prend le relais d’une antique tradition qui fait des phéniciens des marchands roublards et d’abominables infanticides, cela a influencé l’archéologie quand les premiers tophets ont été découverts.
Le premier tophet fut découvert en Sardaigne, le second en Sicile et le troisième, ce fut celui de Carthage en 1921.
Dans ce temps là bien sûr, quand on découvre un cimetière avec exclusivement des tombes d’enfants en bas âge, c’est évidement parce que ces méchants carthaginois font des holocaustes de leurs propres enfants au Saturne d’ Afrique, le fameux Baal Moloch !
Le tophet se présente aussi toujours de la même manière ; il est aménagé en même temps qu’est fondé la colonie phénicienne (cela en fait un bon indicateur pour les datations), assez loin de la ville dans un espace complètement vierge qui ne contenait à l’origine aucune tombe (sauf exception d’un cas, à Tharos, mais les fouilles ont démontré que les phéniciens eux-mêmes pensaient en réalité que l’endroit était vierge). Il peut aussi se trouver dans une ville plusieurs nécropoles, mais toujours un seul et unique tophet par cité.
Bref, le tophet est un lieu hautement sacralisé ; même si la ville grandie et atteint le tophet, alors la ville entourera le tophet sans pour autant le recouvrir ; cela se démontre facilement par les grandes villes puniques, les cimetières conventionnels ont été recouverts par l’urbanisation antique.
Le tophet en lui-même, s’il ne peut plus s’agrandir en surface s’agrandit en hauteur, couche par couche, formant au fil des générations une véritable terrasse que l’on étaye avec des murs. C’est pourquoi aussi on peut facilement dater une cité punique par le tophet ; la céramique, précieux indicateur et comparatif archéologique, sans compter des monuments votifs comme les cippes et les stèles, permettent de mesurer plusieurs facteurs (richesses, populations, date, etc.).
Mais dans certains sites, si ça devenait trop haut (imaginons la grandeur de Carthage) ont le faisait grandir en hauteur ; et là, catastrophe pour l’archéologue, les puniques, pour agrandir en surface, terrasse en hauteur, mélangeant une assez grande partie du matériel archéologique.
Ensuite, ce que l’on trouve à l’intérieur des urnes, ce sont surtout des enfants très jeune, voire tellement jeune que se sont des fœtus. En moyenne, ça fait 2-3 ans de moyenne d’âge, mais on peut en trouver des enfants vieux d’au moins sept ans. On ne trouve pas non plus que des ossements humains dans les urnes, mais aussi des animaux de toutes sortes (agneaux, oiseaux, tortues) et mêmes mollusques.
Et je ne compte pas les combinaisons (soit avec des enfants seulement, soit des animaux, soit les deux).
Bien sûr, tous ces ossements sont calcinés, indiquant une incinération préalable. Et si on regarde au commencement d’un tophet, on aura plus de chance de trouver des ossements d’enfants que d’animaux ; la fréquence des enfants augmente avec le temps.
Bien sûr, avec tout ça, il y’a deux écoles.
Au Etats-Unis et des historiens un peu trop vieux, un peu trop bibliste ou trop latiniste sont partisans des sombres barbares carthaginois qui sacrifient au Moloch ; pour eux c’est évident, l’augmentation de la fréquence des incinérations d’enfants au sein du tophet n’est là que pour montrer les actes de piété barbare et sanglant.
En Europe, du moins en France, on pense plutôt qu’il y’a une raison logique et imparable ; la mortalité infantile.
C’est tout con et pourtant, il fallait y penser ; la mortalité, c’est 40% de décès chez les moins de 5 ans avant l’invention des antibiotiques automatiques et des couches culottes pampers baby drive.
Comme dans toute société antique, les enfants n’ayant pas atteint une certaine forme de majorité sont considérés comme des êtres qui ne font pas parti de la société.
Il n’y a qu’à voir les nécropoles grecque et romaine pour s’en rendre compte que les rites funéraires aux fœtus ou aux enfants en très bas âge sont inexistants (et même dans nos sociétés actuelles).
Les puniques ne font que rendre par le tophet une forme de sacralité, de pratique funéraire à des êtres qui ne devraient pas en avoir.