La naissance dans la religion égyptienne

Comme vous devez le savoir, le divin était omniprésent dans la vie égyptienne. Chaque action qu'ils accomplissaient était en rapport avec un mythe, chaque aliment qu'ils mangeaient, chaque matériau qui touchait appartenait à un ensemble de symboles.
Cette superstition menait à la pratique de rites (fêtes, prières, offrandes...).
La vie d'un Egyptien était en fait étroitement liée à un cycle mythologique et symbolique qui commençait à la naissance.

La création même du bébé faisait l'objet d'un mythe: les Egyptiens attribuaient au dieu Khnoum le pouvoir de modeler des enfants sur son tour à potier et de les faire apparaître dans le ventre des mères.


le dieu Khnoum modelant des enfants sur son tour à potier, d'après un bas-relief du temple d'Esna

De la grossesse à l'accouchement, la mère et son bébé étaient constamment menacés par des mauvais génies aux yeux des Egyptiens.

On possède une liste assez complète de ces "mauvais génies", mais il est difficile de savoir lesquels étaient précisément liés à la naissance. C'est le serpent semble avoir été le plus craint durant cette période.


Détail d'un objet magique: Thot maîtrisant deux serpents.

Il faut plonger dans la mythologie égyptienne pour comprendre pourquoi il avait une connotation péjorative. Le serpent Apophis est l'ennemi juré de Rê dans la mythologie, il cherche chaque nuit à rétablir le chaos en renversant la barque solaire. Sous le règne (légendaire) de Geb, l'Egypte a connus une invasion de serpents qui a failli lui être fatale.

Le serpent est donc devenu une incarnation du mal, particulièrement redoutée au cours de la naissance.

Le serpo-léopard (sedja) semble avoie lui aussi été un démon malveillant pour le nouveau-né. Existant depuis l'époque prédynastique, cette créature était composée de deux animaux désertiques redoutés par les Egyptiens à savoir le léopard et le serpent.


Un sedja, « serpo-léopard »
Parmi les « mauvais génies » égyptiens connus à ce jour, le serpent et le sedja sont les deux seuls dont on peut affirmer qu'ils étaient redoutés comme essayent de mettre à mal l'accouchement.
Inspirés des animaux du désert, le domaine de Seth, ces créatures étaient une représentation allégorique des fausses couches, très fréquentes dans l'Egypte ancienne.

Face à ces démons, les Egyptions utilisaient divers pratiques magiques (amulettes, statues, incantations...).

Ces pratiques commençaient dès la grossesse.

La femme enceinte portait sur des amulettes.

L'une des plus populaires était l'amulette représentant une grenouille. Une croyance profondément ancrée dans l'esprit égyptien était que les les grenouilles se créaient à partir d'elles mêmes. L'amphibien est donc devenu pour eux le symbole de la fécondité et de la naissance: porter une amulette en forme de grenouille assurait à la future mère une heureuse grossesse.


amulette en forme de grenouille

L'hippotame passait pour protéger ses petits à n'importe quel prix, aussi l'amulette d'hippopotame était-elle populaire durant la grossesse. La déesse hippopotame Thouéris était particulièrement répandue, son rôle était d'éloigner les démons de la femme enceinte et de veiller sur la grossesse.


amulette représentant Thouéris

Des amulettes représentant d'autres déesses comme Hathor et Isis étaient également utilisées.

Une autre forme de prévention magique consistait pour la femme à porter un étui cylindrique autour du cou. Dans cet étui se trouvait un papyrus magique sur lequel était inscrit une sorte de « contrat » divin d'après lequel les dieux déclaraient protéger le futur enfant.


papyrus magique, que l'on enroulait et mettait dans un étui

Extrait de la traduction d'un papyrus magique:

« nous sauverons Ankhesentaaset (…) Nous garderons en bonne santé tout son corps et toute sa chair, de la tête à la plante des pieds. Nous la sauverons de tout mauvais dessein, de tout dieu et de toute déesse du ciel, de la terre et de la Douat »

C'était au moment de l'accouchement que le plus de précautions étaient prises. C'était une épreuve dangereuse non seulement pour la femme mais aussi -d'un point de vue religieux- pour l'enfant, puisque c'était le moment où il était le plus exposé aux démons.

Des statues ou figurines de dieux protecteurs étaient placés aux alentours de la femme. Le plus populaire de tous était Bès, monstre hideux et grimaçant dont la laideur était censée repousser les forces malveillantes. La déesse hippopotame Thouéris avait exactement le même rôle.


Statuette du dieu Bès



Tantôt qualifié de couteau, tantôt de baguette magique, cet objet d'ivoire en forme de boomerang n'était pas vraiment l'un ni tout à fait l'autre. C'était un objet magique qui servait à tracer un cercle autour de la femme qui accouchait, cercle à travers lequel aucun démon ne pouvait passer.

Si l'on observe attentivement cet objet, on apercevra la déesse hippopotame Thouéris, Thot et une forme de Bès maîtrisant des serpents, un sphinx bicéphale, un scarabée, une grenouille, des lions et une représentation de Khnoum:
autant de divinités et animaux censés éloigner les démons.

Mais on apercevra aussi deux de ces démons aux côtés des divinités protectrices: un sedja et un serpent, créatures néfastes que les divinités protectrices étaient justement censées éloigner.

Détail de l'objet d'ivoire: un serpo-léopard et un serpent parmi des entités bienfaisantes
Que font donc des incarnations du mal sur un objet censé éloigner ce mal?

La réponse se trouve dans cette logique bizarre et paradoxale qui caractérise la mythologie du Double-Pays. Les Egyptiens pensaient qu'il n'existait aucune force négative qui ne puisse être utilisée à bon escient, selon eux tout être malfaisant avait une facette positive.
Ainsi Seth, le dieu du mal, est l'assassin d'Osiris mais aussi le protecteur de Rê sur sa barque solaire car il symbolise non seulement le mal mais encore la force.
Ainsi le sedja et le serpent, créatures négatives et néfastes à l'origine, deviennent des génies protecteurs lorsqu'ils sont gravés sur l'objet magique. Les Egyptiens pensaient que parler ou inscrire quelque chose suffisait à le créer: graver une créature malfaisante sur un objet protecteur en faisait une créature protectrice.

Plusieurs déesses étaient censées intervenir au cours de l'accouchement.

Meshkenet était notamment sollicitée.


On la représentait tenant dans sa main l'ankh, la croix de vie, et portant sur sa tête l'idéogramme de l'utérus; elle symbolisait ainsi à la fois le l'organe d'où allait sortir l'enfant et la vie qui allait naître.
Meshkenet n'avait aucun autre rôle religieux que celui d'aider les femmes lors des accouchements. Elle est à tel point devenue représentative de cet épisode que la niche de briques dans laquelle accouchaient les mères de familles aisées a pris pour nom meshkenet.

Plus secondairement étaient invoquées Isis et sa soeur Nephtys, associées à la vie et à l'enfance et donc à l'accouchement.

Pétri sur le tour à potier de Khnoum, protégé par une multitude de dieu et sorti indemne du ventre de sa mère grâce à Meshkenet, l'enfant devait encore recevoir le souffle de vie pour exister.


Heqet donnant vie à un enfant grâce à la croix d'ankh

Cette tache incombait à la déesse Héqet. Celle ci était représentée avec une tête de grenouille et une croix d'ankh dans chacune de ses mains, la grenouille et l'ankh étant tous deux symboles de vie. Heqet donnait la vie au nouveau-né grâce à la croix sur les représentations.

Le nom de l'enfant était choisi par la mère. La tradition veut que l'enfant prenne pour nom les mots que prononce la mère durant l'accouchement. Dans la mythologie, la déesse Nout, en accouchant d'Isis, aurait dit sous la douleur: « sois légère (is) pour ta mère (is) », ce jeu de mot permettant d'expliquer le prénom de la soeur d'Osiris.
La naissance d'un bébé était suivie de 14 jours de « purification » durant laquelle la mère se retirait dans une pièce isolée de la maison, seule avec son bébé qu'elle allaitait. Cette réclusion servait encore à protéger le nouveau-né des démons.
Cette purification achevée, une fête était organisée en l'honneur de la naissance.

Une fois ces rites arrivés à leur terme, le nouveau-né entrait dans une autre période tout aussi marquée par la religion: l'enfance.